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La France juive : essai d'histoire contemporaine / Édouard Drumont
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875
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LA PERSÉCUTION JUIVE

pussent dans chaque ville et presque dans chaque village ! Ce livre, un Seul parmi nous aurait pu lécrire, poignant, navrant, sincère, tel quil devrait être en un mot : cest Alphonse Daudet . Il lécrira peut-être.

Quel livre plus tentant, pour une âme généreuse? Il y a des simples et des humbles qui sont bien émouvants à regarder aux prises avec cette for­midable machine gouvernementale mise en mouvement par des mécani­ciens scélérats. Quoi de plus impressionnant que lhistoire de ce pauvre organiste de la cathédrale dUzès , que tous les journaux ont contée 1 ? Cest une sorte de conseiller Krespel, un de ces maîtres de chapelle à moitié fantastiques, comme en a peint Hoffmann : il vit en dehors du monde réel dans un rêve musical; il sourit en marchant aux mélodies divines quil entend chanter en lui. Les leçons quil a en ville et dans un couvent assu­rent le nécessaire à ce doux chimérique qui vit de peu. Noël approche, et il compte ce jour- faire entendre un morceau qui sera digne des maîtres immortels, dePaesiello et de Palestrina . « Vous écouterez cela, » dit-il, et sa bonne figure sillumine et rayonne.

Les Francs-Maçons de la ville, qui se réunissent dans un petit établis­sement comme celui qua décrit Goncourt dans la Fille Elisa, ont juré de perdre ce naïf et cet ingénu. Le juge dinstruction se voit déjà garde des Sceaux sil peut faire condamner cet innocent. Le musicien est arrêté sous une inculpation abominable.

On obtient un premier succès. La supérieure de létablissement de Saint-Maur tombe morte, quand on vient lui raconter ce qui se prépare. Gomment de telles choses auraient-elles pu se passer ? Il y a impossibilité matérielle. Une Sœur est toujours présente aux leçons de musique aux­quelles assistent les parents.

Le prisonnier nen reste pas moins au secret pendant trois mois, se débattant en vain contre cette horrible accusation. Trois fois linstruction est close, faute d'une base quelconque aux imputations ; trois fois la Franc- Maçonnerie la fait reprendre. Enfin la Cour dassises acquitte le malheu­reux musicien contre lequel il ny a pas lombre dune preuve. « G est égal, dit un des meneurs de laffaire, nous lavons tout cft même empêché de faire jouer sa musique à la cathédrale. »

Les humbles tiennent quand même; on ies prend par la famine. Au fond du onzième arrondissement, rue des Trois-Bornes, une indigente famille se lamente autour du lit lun de ses enfants agonise. Il n y a

1. Février 1883.