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LA FRANCE JUIVE
Pères du Saint-Sacrement que la population du pays entourait de vénération. Ils n’étaient pas fort dangereux, car, au moment des décrets, ils étaient trois en tout. Gomment les choses se passèrent-elles exactement ? On n’a jamais pu le savoir au juste. Le maire de Noirétable, un médecin, appartenait à une famille bonapartiste tant que l’Empire avait pu distribuer des places, devenue ardemment républicaine dès que le vent avait tourné. C’était au demeurant un assez bon homme, et qui semble avoir voulu tout arranger pour le mieux sans y avoir réussi.
Le 4 novembre 1 880, au matin, le sous-préfet de Montbrison , qui répondait au nom de Mauras, vint pour expulser les bons religieux, et il ébaucha une grimace quand il vit l’ascension à accomplir. Chemin faisant, il avait recueilli quelques renseignements désagréables sur les dispositions des paysans, cœurs d’or, mais fort capables de tirer un coup do fusil aux malfaiteurs qui iraient crocheter les portes de religieux inoll'ensifs qui n’avaient fait que du bien à tous. Bref, lâche comme tous ses pareils, il avait une peur du diable.
Voyant les hésitations du personnage, le maire, M. Bertrand, lui dit : « Déjeunons d’abord 1 » Convaincu, — et cette opinion fait honneur à son intelligence, — que le bonheur de la France ne dépendait pas de 1 expulsion de trois religieux qui ne descendaient pas au village une fois par mois, le maire espérait peut-être que le sous-préfet oublierait à table la vilaine besogne qui l’amenait et que tout resterait en l’état.
On déjeuna comme on déjeune dans le Forez ; et, à la tombée du jour, après le champagne, l’administrateur républicain était fin saoul, — c’est l’expression usitée dans le pays. On l’expédia tant bien que mal vers sa résidence, et les gens de l’endroit, qui ont la tète solide, allèrent deviser chez Esope de la supériorité morale des fonctionnaires de la démocratie sur les suppôts de la tyrannie.
Malheureusement, celte fois, Raton, le sous-préfet, avait été plus malin que Bertrand, le maire. Entre deux rasades, sans qu’on puisse savoir à quel moment, il avait ordonné à un gendarme, du nom de Tarbouriech, d’exécuter ce qu’il n’osait entreprendre lui-mème, et d’aller jeter les religieux hors de chez eux, pendant qu’il continuerait à fêter la dive bouteille et à faire l’éloge de la liberté.
Tarbouriech partit, flanqué d’un compagnon, et n’eut pas la main tendre. Des trois religieux, un resta pour garder l’immeuble, un autre se dirigea vers le château de M. de Barante , où une retraite lui avait été préparée; le troisième s’achemina vers Verrines, un village au-dessous de la montagne, où il devait également trouver un asile.