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LA FRANCE JUIVE
En novembre, la neige couvre déjà l’Hermitage. Grâce aux dernières clartés du jour, le pauvre religieux se dirigea d’abord assez bien, mais bientôt tout prit autour de lui un relief fantastique. Les chemins s’entrecroisèrent, les silhouettes gigantesques des arbres sous la reverbération de la neige revêtirent des formes trompeuses ; le froid fit affluer le sang aux tempes du voyageur. Saisi par le délire, il s'imagina sans doute qu’il avait toujours Tarbouriech à ses trousses : il précipita sa course, et tomba dans des sentiers à peine praticables en plein jour. A l'aube, un bûcheron le trouva étendu, le crut mort, s’aperçut qu’il respirait encore, et parvint à le ramener à la vie.
Le pauvre homme n’en était pas moins perdu. Il revint à l’Hermitage pour y achever une existence dont les jours étaient désormais comptés. Il aurait fallu, pour empêcher ce vieillard de rentrer chez lui, établir sur ces hauteurs un poste fixe de gendarmerie. On eût demandé les fonds nécessaires à la Chambre que la gauche, toujours libérale, eût trouvé cette proposition admirable et digne d'elle; on n’y songea pas.
Tel était le récit qu’on nous avait fait au village, un matin que nous partions en caravane pour accomplir cette excursion à l’I[ermitage à laquelle nous ne manquons jamais, chaque fois que les vacances désirées nous ramènent vers le Forez , qui est devenu notre pays d’adoption.
Ouand on a fait une lieue environ, on s’arrête quelques minutes à un hameau appelé les Baraques.
— Vous savez la nouvelle? nous dit-on quand nous arrivons.
— Non.
— Ce pauvre Père Corentin est mort, il a achevé de mourir plutôt I Il était préparé du reste; hier dimanche, il nous a fait ses adieux : « .l’aurai encore la force de dire ma messe aujourd’hui, et je prierai pour ceux qui nous ont aimés et aussi pour ceux qui nous ont persécutés, puis je m’en irai... » Il a dit sa messe et il est parti une heure après...
La pensée du brave homme expiré nous attrista, mais bientôt le charme du chemin fit diversion à ce sentiment.
Bien n’est merveilleux comme cette montée en juillet. Les muguets, les jonquilles, les gentianes du printemps ont déjà disparu, il est vrai, mais il reste les œillets sauvages, les pensées, et les violettes qui tapissent le chemin. On gravit à travers d’énormes fougères qui font comme un piédestal verdoyant aux grands chênes, aux bouleaux toujours agités et tremblants, aux hêtres touffus qui préparent aux sapins sombres du sommet.
Parfois un murmure régulier étonne l’oreille : c’est un ruisseau qui sort en écume d’argent de quelque rocher couvert de mousse, et qu’il faut