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LE JUIF DANS L’HISTOIRE DE FRANCE 123
rant. En 1131, quand le Pape Innocent II vient en France et célèbre dans cette illustre abbaye de Saint-Denis dont Suger est l’abbé, la fête de Pâques, la Synagogue, comme le constate Suger dans sa Vie de Louis le Gros, figure dans le cortège immense qui défile devant le Saint Pontife, le mercredi saint.
Des troupes rangées en bataille, écrit M. Adolphe Vétault dans Suger, formaient la haie et contenaient à grand’peine les flots pressés de la foule qui voyait reproduite sous ses yeux, dans une image frappante, l’entrée de Jésus-Christ à Jérusalem dont les cérémonies liturgiques célébraient en ce jour la commémoration. L’analogie fut plus saisissante encore quand, au milieu de ces masses de fidèles, vint à passer la Synagogue de Paris qui voulait rendre honneur au représentant de Celui que les chefs de la Synagogue antique avaient, en des circonstances semblables, voué à la mort. En recevant des mains des rabbins le texte de l’ancienne loi écrit sur un rouleau de parchemin qu’enveloppait un voile précieux, l’apôtre de la loi nouvelle leur dit avec une fraternelle douceur : « Puisse le Dieu tout-puissant arracher le voile qui couvre vos cœurs 1 ! »
On le voit, la Synagogue avait sa place marquée dans l’organisation de la société d’alors. A moins d’avoir appris l’histoire dans le Manuel de Paul Sert, tout lecteur de bonne foi a pu se convaincre facilement, par le peu que nous avons dit, de l’invraisemblance du roman noir que l’on raconte aux naïfs. Des prêtres très méchants, amis de rois très cupides s’amusant à persécuter des pauvres Juifs à cause de leur religion, — telle est la légende. La vérité, au contraire, est que les Juifs, tant qu’ils ne mirent pas le pays hors de lui par leurs tripotages financiers, leurs trahisons et leurs assassinats d’enfants chrétiens, restèrent relativement plus tranquilles que les chrétiens de la même époque. La foi était cependant aussi vive au commencement du xi 8 siècle, alors que les monastères s’élevaient de tout côté, quand le roi Robert le Pieux allait lui-même chanter au lutrin, que cent ans après. La religion n’eut donc aucune part aux mesures dont les Juifs furent l’objet plus tard.
Il est aisé de se rendre compte de cette évidence en étudiant la société juive d’alors. Cette époque fut incontestablement pour Israël la plus brillante qu’il eût connue depuis la destruction du Temple.
Les Juifs de France atteignaient alors le chiffre de 800,000 qu’ils n’atteignent pas encore aujourd’hui chez nous 2 . Ils étaient aussi riches
1. Nec etiam ipsa Judæorum Parisiensium excæcata defuit Synagoga, quæ legis litteram, rotulam sci/icet velatam offerens, ab re ejus hanc misericordiæ et pietatis obtinet supplica- tionem: Auferat Deus omnipotens velamen a cordibus vestris ! (Suger, édition Lecoy de la Marche.)
2. A propos de ce chiffre, M. Albert Kohn a prononcé, dans une séance de 1 ’Alliance