LE JUIF DANS L'HISTOIRE DE FRANCE
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Ki por lor vivre n’oret doné nus rachet d’argent.
Est finie la version. Que Dieu nouz sauve du peuple violent!
L’auteur de cette pièce est rabbi Jacob, fils de Juda de Lotre (Lorraine), qui composa également une selicha, en hébreu , sur le même sujet.
Les événements de Troyes effectivement avaient vivement frappé les Juifs. Le 26 mars 1288, le jour du Vendredi Saint , les chrétiens avaient envahi la maison du riche Juif Isaac Châtelain, auteur de poésies élé- giaques, et l’avaient arrêté ainsi que toute sa famille. Les malheureux offrirent de se racheter à prix d’or, mais on ne consentit à leur accorder la vie que s’ils abjuraient. Ils refusèrent, et, le samedi 24 avril 1288, an 5048 de l’ère juive , ils montèrent au nombre de treize sur le bûcher. Tous allèrent à la mort avec intrépidité en entonnant le schéma et en s’encourageant mutuellement. La iemme d’Isaac Châtelain s’élança elle-même dans les flammes; ses deux fils, sa bru et Samson, son gendre, suivirent cet exemple.
Les victimes furent R. Isaac Châtelain, sa femme, ses deux filles, la femme du fils ainé « qui était tant belle », Samson appelé le Kadmon ou le jeune Alakadmenath, Salomon, fils de Phebus, receveur, BaruchTob Elem d’Avirey, Siméon frère, scribe de Ghatillon, Jonah ou Colon, Isaac Cohen, Haïm de Brinon, chirurgien, et Haïm de Chaource.
M. Darmesteter a raconté cette exécution dans les Archives Israélites, et naturellement il la désapprouve. Que dit-il de cette note aimable de son ami Mayer, qui figure dans la « Petite Correspondance » de la Lanterne, du 4 décembre 1883 ?
Il n’y a pas là l’entraînement d’une polémique où l’on s’excite, où l’expression dépasse parfois la pensée. Un brave homme demande son avis à Mayer sur les assassinats de la Roquette, et voici ce que le Juif répond :
« N. B : . — Et vous concluez qu'on a eu tort de fusiller les pauvres calotins en 1871. Nous sommes d’un avis contraire ; nous estimons même qu’on a usé de trop de ménagements vis-k-vis d’eux. Ils ne l’avaient psLS volé: cela ne pou- vait faire de martyrs, et cela effectivement n’en a fait aucun. »
Sans doute, on ne peut se défendre d’un sentiment de pitié devant ceux qui souffrent, quels qu’ils soient ; il est impossible de parcourir, sans avoir le cœur serré, le long martyrologe d’Israël , 1 ’Emek habkha, cette Vallée des pleurs où sont inscrites les victimes de tous les pays '. Il est bon cepen-