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La France juive : essai d'histoire contemporaine / Édouard Drumont
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LE JUIF DANS L'HISTOIRE DE FRANCE

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terre, la douce ironie de ce narquois et de ce désabusé ne se rattachent- elles point à travers les siècles à la philosophie désenchantée de lEcclé- siaste ? En dépit de léducation et de latmosphère chrétienne de lépoque ne retrouve-t-on point, en maints passages des Essais , lécho des paroles désillusionnées du Koheleth biblique méditant, en se promenant le long de la terrasse du palais dEtham, sur la vanité des desseins humains, procla­mant que les plus belles espérances ne valent pas les jouissances présen­tes et le bon repas arrosé du vin de lEngaddi? Le qui sait? de lun nest-il pas parent du peut-être très vague auquel lautre a lair de croire si peu?

Maintenues dans les bornes de la prudence, lobjection discrète aux enseignements de lÉglise, la plaisanterie à demi voilée vont plus loin dans Montaigne que la phrase ondoyante et subtile ne le semble indiquer au premier abord. Dans ce récit touchant des souffrances des Juifs de Portugal qui a pour titre : Juifs affligés en diverses manières pour les faire changer de religion, mais en vain, on sent la secrète admiration pour ces obstinés qui ont tant souffert sans renier*. Çà et, une allusion apparaît dans lœuvre à des malheurs de famille quon tient à faire oublier et à oublier soi-même, pour ne point rappeler aux hommes parmi lesquels on vit lorigine maudite. Cette vision des bûchers dEspagne qui hantait lau­teur des Essais dans cette visite à la Synagogue de Rome quil nous a racontée, ne poursuivait-elle pas dans son château de Montaigne le con­seiller au Parlement, lorsquil écrivait : « Cest mettre ses conjectures à bien haut prix que den faire cuire un homme tout vif 1 2 3 . »

Montaigne et Dumas üls, tous deux dorigine juive par leur mère, sont les deux seuls écrivains français vraiment dignes de ce nom quait produits

1. Ce passage ne figure pas dans les premières éditions, il a été ajouté, dans lédition de 1595, au chapitre il, le chapitre xi des premières éditions, qui est intitulé: Que le goust du tien et des mœurs dépend en bonne partie de lopinion que nous en auons. Montaigne avait jugé inutile d'attirer par ce passage lattention sur les origines de sa famille, à une époque ou les Israélites de Bordeaux se défendaient d'être Juifs. Il reprit cette note au moment il travaillait à une révision définitive des Essais, à cette heure déjà vojsine de la mort les souvenirs denfance, les réminiscences de récits maternels se représentent parfois à vous avec une précision et une vivacité plus grandes.

2. A maintes reprises, on voit que Montaigne est obsédé par cette idée de bûcher, pour lequel il na aucune vocation. Pour se disculper davoir fui Bordeaux au moment de la peste, quand son devoir comme maire était de donner lexemple, il écrit : « Je suyvray le bon parti jusques au feu, mais exclusivement si je puys. » « Eh bien, fait remarquer Veuillot à ce sujet, quand la peste s'escrimait dans sa ville, c'était au mois de juin. Il faisait trop chaud, voilà 1 explication. »

La nature du Juif, peu faite pour lhéroïsme, se révèle dailleurs à chaque ligne dans ontaigne, et contraste avec les moeurs d'une époque chacun mourait si intrépidement Pour sa cause. Sous ce rapport, il a au moins le mérite de la sincérité, et ses aveux sont dé­pouillés d artifice, a En quelque manière, dit-il, quon se puisse mettre à labri des coups, -ce sous la peau dun veau, je ne suis pas homme qui y reculasse. »