LE JUIF DANS L’HISTOIRE DE FRANCE
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institué un prix pour le meilleur mémoire sur le moyen d’améliorer le sort des Juifs. Le prix qui devait être décerné en 1787 ne le fut que le 23 août 1788. Ce fut l’abbé Grégoire qui obtint ce prix avec son essai sur la Régénération physique, morale et politique des Juifs.
Le travail de l’abbé Grégoire, disait Rœderer dans un premier rapport, résout presque toutes les difficultés. Il s’éclaire de la politique, de fhistoire et de la morale. Une philosophie saine et quelquefois sublime s’y montre avec dignité, avec éclat... mais l’ouvrage est informe et indigeste, les matières y sont mal disposées.
Les remaniements auxquels se livra l’auteur firent disparaître quelques-uns de ces inconvénients sans enlever à l’ouvrage son caractère de médiocrité.
Tout en ne cachant pas ses sympathies pour les Juifs, l’abbé Grégoire les défendait un peu à la façon de Lacretelle ; il traçait une peinture navrante de la façon dont ils pressuraient les malheureux qui avaient affaire à eux :
Habitants infortunés du Sundgau, répondez, si vous en avez encore la force ! Cet effrayant tableau n’est-il pas celui de l’état auquel plusieurs Juifs vous ont réduits?
Votre contrée, jadis fertile, et qui enrichissait vos pères, produit à peine un pain grossier à une foule de leurs neveux, et des créanciers, aussi impitoyables que fripons, vous disputent encore le prix de vos sueurs. Avec quoi les cultiveriez-vous, désormais, ces champs, dont vous n’avez plus qu’une jouissance précaire? Vos bestiaux, vos instruments d’agriculteur ont été vendus pour assouvir des vipères, pour acquitter seulement une partie des rentes usuraires accumulées sur vos têtes. Ne pouvant plus solliciter la fécondité de la terre, vous êtes réduits à maudire ceiies de vos épouses qui ont donné le jour à des malheureux. On ne vous a laissé que des bras desséchés par la douleur et la faim, et s’il vous reste encore des haillons pour attester votre misère et les baigner de vos larmes, c’est que l'usurier juif a dédaigné de vous les arracher*.
J’ignore pourquoi les Juifs n’ont pas fait graver ce passage sur le Piédestal de la statue qu’ils ont élevée avec notre argent à l’abbé Grégoire *. — Quant à l’idée d’un homme qui dit : « Voilà la peste, je
1. Pour bien connaître tout ce que peut supporter le papier qui, a-t-on dit, supporte tout, *1 faut rapprocher ce tableau tracé par un ami ardent d-s affirmations de Renan dans une conférence fait- au cercle Saint-Simon, et qui lui avait été demandée parle Juif Mayrargues, trésorier du cercle :
“ Quand l'Assemblée nationale, en 1791, décréta l’émancipation des Juifs, elle s’occupa ej trêmement peu de la race. Elle estima que les hommes devaient être jugés non par le sang îui coule dans leurs veines, mais par leur valeur morale et intellectuelle. »
2. On sait le triste rôle joué plus tard par cet apostat, qui trahit successivement toutes les causes, et dont M. Jules Simon n’a pas craint de faire l’éloge. En mission en Savoie, i> vota