GAMBETTA ET SA COUR
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imprimeries la copie des écrivains, pour en fabriquer plus tard de fausses lettres, ils ne servaient pas seulement un homme, ils servaient une cause; ils trouvaient parfois une ombre de talent pour insulter de saints religieux ou des petites Sœurs des Pauvres, de la même plume qui venait de vanter les actions d’une société nouvelle.
Tout ce petit groupe haineux et avide crut vraiment, à un moment donné, que la France était conquise. Les excursions dans les départements rappelèrent le célèbre voyage en Achaïe que Néron entreprit lorsqu’il jugea Rome indigne de l’applaudir. Après Gahors, ce fut Lixièux; partout des scènes d’une indescriptible gaîté signalent ces pérégrinations. Les estrades s’écroulent, les orateurs roulent les uns sur les autres; la clique claque, on claque la clique. Arnaud de l’Ariège, qui veut faire oublier, par l’exagération de son zèle, qu’il n’est pas d’origine juive, menace de la main un reporter qui, coram populo, corrige immédiatement le cubicularius. La musique électrisée, qui croit que c’est dans le programme, attaque énergiquement la Marseillaise, pendant que Spuiler, tout meurtri de sa chute de l’estrade, se met tout à coup à commencer un discours en allemand...
Le désordre est tel en France, l’entraînement vers la servitude si irrésistible, l’amour d’une autorité, quelle qu’elle soit, si profondément invétéré, qu’on rend spontanément des honneurs souverains à un homme qui n’y a pas plus droit que le premier député venu.
S’il y avait eu une ombre d’organisation dans le pays, pensez-vous qu’on eût gardé dans les cadres de l’armée le général qui, commandant à Gahors, se permettait, au mépris de tous les règlements, de faire prendre les armes à la garnison pour former la haie devant un citoyen qui n’était plus même président de la Chambre, puisque la session était close?
Pourquoi ce général faisait-il cela? Tout bonnement, parce qu’il était prêt à obéir à n’importe qui.
Au moment du vote du scrutin de liste par la Chambre, Gambetta exerçait véritablement l'imperium. Il régnait derrière le président Judith, qu’on n’avait choisi qu’à cause de son nom, et qui, après avoir brisé les crucifix dans sa jeunesse, regardait en souriant, dans sa vieillesse, d’autres les briser à sa place. Les invitations aux légendaires déjeuners de Trompette étaient aussi recherchées que l’eussent été des invitations au Palatin : la terre, à dix-huit cents ans de distance, revoyait cette chose étrange, avilissante, et très folle aussi, qui avait été le Bas Empire. Il y eut, en effet, dans tout ce que faisait Gambetta, un côté fantaisiste, imprévu, extrava-