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LA FRANCE JUIVE
gant, histrionnesque, méprisant pour l’humanité qui est particulier à l’impérialat, et que les royautés, même les moins raisonnables, ne connaissent point.
Antoine avait donné une ville d’Asie à son cuisinier pour le récompenser d’un bon repas. Gambetta eut des accès de générosité analogues.
Un jour, on fait goûter au maître de la bière qu’il trouve excellente.
— Qui a fabriqué ce nectar? demande-t-il.
— C’est un Juif, il s’appelle du nom biblique d’Agar.
— Je le nomme préfet. Ce brasseur brassera des affaires...
Préfet, ce n’était pas encore le compte de ce disciple de Gambrinus, qui demande à permuter contre une place de trésorier général à Cahors valant 80,000 fr.
Remarquez, comme un nouveau signe de la platitude française , que personne n’eut l’idée de demander à quel titre cet homme, sans passé administratif, était promu à ces hautes fonctions, au détriment de vieux serviteurs qui remplissaient des emplois modestes depuis vingt ou vingt- cinq ans. Quand l’astre de Gambetta déclina, on enleva cependant à ce brasseur trop favorisé cette grosse sinécure, et on lui donna en échange une place d’inspecteur des eaux à Aix , qui ne rapporte guère qu’une dizaine de mille francs; mais, sur le moment, ce choix ne scandalisa personne J .
Ces monstrueuses autorités d’Empereurs avaient pour contrepoids le poignard d’un Chereas : ce fut la plume d’un journaliste qui tua cet Empire naissant à peine.
C’est une singulière figure encore que celle de M. Henri Rochefort ; et il faut, pour bien dégager ce type, tenir compte des innombrables variétés d’êtres et d’idées, qu’ont semées dans ce pays tant de régimes, d’invasions, de passages de nations, d’incarnations humaines différentes, laissant de leur graine. Semblables à ces arbres qui revivent après des années écoulées, dans un coin de la forêt, parce qu’un germe d’eux-mêmes, déposé sur le sol, s’est conservé et développé, certaines formes d’êtres lointaines reviennent parfois tout à coup dans toute l'originalité première.
Rochefort, c’est le féodal.
Ce n’est pas le grand seigneur, le marquis, le gentilhomme déchu; c’est le féodal, non point croyant, dévoué, à l’âme enfantine et pure, mais le féodal possédé du diable, le féodal blasphémant comme on en vit en
I. Aujourd’hui il est redevenu simple receveur des contributions, à Pithiviers , je crois.