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LA FRANCE JUIVE
volontiers dans les couloirs le mot qu’il adressait aux actionnaires mécontents : < Allez et ne pêchez plus ! »
A force de traire la pauvre France, le sang, cependant, commençait à venir aux pis de la malheureuse bête. Gambetta le savait, il prévoyait la banqueroute, il sentait surtout qu’il n’avait plus rien à donner au monde d’affamés qu’il traînait derrière lui.
Comme les voleurs qui mettent le feu pour cacher leurs exploits, les faiseurs souhaitaient ardemment la guerre; les Juifs la réclamaient àgrands cris; mais la France, nous l’avons dit, ne voulait pas en entendre parler, et Gambetta, après son échec de Belleville, n’était plus en état d’imposer rien.
Il y eut des querelles et des récriminations. Pour comble de malheur, Gambetta s’était brouillé avec Rothschild. Le 10 juin 1881, avait eu iieu un souper intime, dont tous les journaux ont parlé, et auquel assistaient, outre Gambetta, Alphonse de Rothschild et Gallifet, quelques grands seigneurs chargés d’amuser ; le marquis duLau, Kerjegu, et le marquis de Breteuil. Gambetta avait plaisanté un peu vivement le baron sur tout l’argent qu’il avait gagné depuis quelques années.
Malgré une vigoureuse tape sur le ventre qui soulignait l’intention amicale du propos, Alphonse de Rothschild, qui avait sa névrose ce jour-là, prit mal la chose. Le baron n’aime pas qu’on le traite aussi familièrement quand il y a des gens titrés.
Gambetta fut-il abandonné par les Juifs, qui oublièrent tous les services antérieurs, quand ils crurent qu’il n’était plus bon à rien? Reçut-il l’ordre de quitter le ministère pour accélérer, par une crise parlementaire et presque gouvernementale, la catastrophe de VUnion générale? Il est difficile de se prononcer, car tout ce qui a rapport à l’éphémère ministère de Gambetta est encore très peu connu: le prolixe travail publié par Reinach sur ce sujet, dans la Revue politique, n’a fait que rendre obscur ce qui paraissait clair.
La décadence physique, prompte toujours dans ces races, était venue de bonne heure, d’ailleurs, chez cet homme qui avait demandé à l’existence tout ce qu’elle peut contenir de plaisir.
La dernière fois que je l’aperçus, c’est à la lecture des Rois %n exil, chez Daudet. Il était déjà perdu, il avait ce signe des gens marqués qui ne trompe guère les yeux expérimentés. Cramoisi, vieilli, gris et rouge en même temps, les chairs gonflées d’une mauvaise graisse, il ne pouvait se tenir assis, et, appuyé à la porte du cabinet de Daudet, il resta debout toute la soirée en