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La France juive : essai d'histoire contemporaine / Édouard Drumont
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LA FRANCE JUIVE

fumant continuellement. Quoique profondément triste, il paraissait suivre Goquelin avec attention. En entendant son acteur de prédilection lire cette pièce, lon tournait en dérision tous ces porte-sceptres de jadis, tous ces descendants daugustes familles qui avaient régné sur lEurope, il semblait dire :

Cest à mon tour maintenant !

Et derrière lui on eût pu voir la Mort qui déjà avait sa main glacée sur lépaule de ce favori du Hasard, de ce maître si utile à quelques-uns, dont le moindre geste était épié par des regards complaisants.

Charcot, sans doute, qui promenait dans ce salon plein de lumières et de fleurs ce visage dËsculape de marbre, ce visage pensif et bienveillant malgré la sarcastique contraction des lèvres, savait probablement, dès cette époque, à quoi sen tenir. Quelles amères et profondes jouissances philoso­phiques doivent avoir les confesseurs laïques de la pénétration de celui-, qui circulent à travers le monde, sachant la blessure invisible de tant din­telligences, le délai bref assigné parfois par la Destinée à certains ambi­tieux qui ne mettent point de bornes à leurs espérances, quand déjà la vie en a mis à leurs jours I

Il serait peut-être revenu au pouvoir pour pousser à cette guerre à laquelle on aspirait tant autour de lui. Mais Dieu jugea quil avait fait assez de mal, il le toucha doigt, et il ne vit pas lannée nouvelle. Par une rencontre assez singulière, cet aventurier, qui tient tant des héros de Balzac, mourut dans la villa même de lauteur de la Comédie humaine. Balzac, qui avait prévu la grandeur dIsraël, a eu le Juif pour remplaçant dans toutes les maisons quil a occupées. Cest Gambetta qui sest assis sous les arbres quavait plantés le peintre de tant de présidents du conseil, grands seigneurs et grands hommes dÉtat: rue de Monceau, M me de Balzac venait à peine dexpirer que M me Salomon de Rothschild envoyait réclamer les clefs de lhôtel quelle avait acheté. Aux champs, Balzac eut pour suc­cesseur Gaudissart; à la ville, il eut Nucingen.

Le dimanche mourut Gambetta, nous lisions à l'office du jour : « Toile puerum et matrem ejus, defuncti sunt enim qui quœrebant animam pueri. Reprenez lenfant et la mère, car ils sont morts ceux qui en voulaient lâme de lenfant. »

Je songeai à cette parole en cheminant encore une fois devant le palais lon venait de ramener le cadavre de ce tout-puissant.

En même temps que moi, une femme du peuple à lair honnête et au type bien français, passait avec son garçonnet et regardait, elle aussi, cette demeure que Paris connaissait.