GAMBETTA ET SA COUR
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méprisé les Jacobins nantis, les régicides devenus chambellans, comme Gambetta avait le droit de mépriser les Noailles, les Choiseul, les Monte- bello devenus ses complaisants et ses adulateurs, le grand Empereur avait respecté toujours cette masse sublime et généreuse, ce peuple militaire auquel il devait ses victoires ; il payait ses vétérans de leur dévouement en les grandissant à leurs propres yeux, en leur parlant le plus magnifique langage qu’on ait parlé à des hommes. Quand ces obscurs héros passaient devant lui pour aller à quelque charge meurtrière, il ôtait son petit chapeau et les regardait défiler tête nue. L’autre méprisait ceux-mêmes dont l’enthousiasme naïf et l’enfantine crédulité l’avaient élevé au pouvoir; il affichait bruyamment l’espoir de faire égorger ceux qui avaient échappé à la Commune; il les faisait recenser dans ce but peu philanthropique, et, quand ils avaient murmuré devant lui, il les menaçait de sa canne comme un garde-chiourme aviné.
Ce mépriseur de tous finit méprisé de tous. Il avait surgi dans une fin d’Empire qui ressemblait déjà à une République, avec l’abjection; les sacrilèges et les persécutions en moins ; il disparut dans une fin de République qui ressemble beaucoup à un Empire, avec la banqueroute en plus. Il fut lui-même comme une caricature d’Empereur, un Empereur juif, avons- nous dit en commençant; il aurait projeté, si tant est qu’en dehors du rêve d’une guerre insensée il ait poursuivi quelque dessein bien arrêté, d’installer un impérialat juif dans les cadres de la vieille société française et de se faire sacrer au Grand-Orient de la rue Cadet, dans quelque burlesque cérémonie. Le tablier du Franc-Maçon aurait tenu lieu du manteau semé d’abeilles, et la truelle aurait remplacé le sceptre et la main de justice...