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LA FRANCE JUIVE
— Mais c'est Gambetta!
- Ab'
Telle est la sensation qu’avait ressentie un délicat et un observateur attentif entre tous, en voyant pour la première fois le grand homme.
La dernière fois que je rencontrai Paul de Saint-Victor, il me parla de Gambetta, c’est-à-dire de Gléon, à propos des Deux masques , dont il préparait le second volume.
— Gomme c’est cela, ce Paphlagonien, aux doigts crochus, qui dit : « Quand j’ai dévoré un thon tout chaud, et bu là-dessus un grand verre de vin pur, je me moque des généraux de Pylos. »
— C’est cela, mon cher maître, et ce n’est pas cela. D’abord Gambetta coûte plus cher à engraisser ; puis Cléon est un démagogue, mais il n’est pas Juif, il n’est pas circoncis, comme dit ailleurs Aristophane en parlant d’un autre personnage; enfin, il a pris Sphacterie, et il est mort en combattant. Je crois, entre nous, que Gambetta ne mourra pas de cette façon...
— Vénus blesse quelquefois, me dit en riant Saint-Victor, sans se douter qu’il était prophète...
Cet éloignement pour lui de tout ce qui était intelligent et honnête était, d’ailleurs, assez indifférent à Gambetta. Il avait sur la presse les idées juives ; il n’y voyait qu’un commerce comme un autre, et n’admettait pas qu’on eût une conviction; il lui semblait tout simple qu’un journal changeât d’avis dès qu’on y mettait le prix.
Quand il voulut se saisir du Petit Journal et de la France, il ne lui vint pas une minute à la pensée que les rédacteurs pussent avoir une opinion à eux, et qu’il fût déloyal, par la force brutale de l’argent, de contraindre des travailleurs intellectuels à opter entre leur situation acquise et leur conscience.
Il n’avait point le secret de conquérir, de gagner, de séduire, de rallier; il ne corrompait pas par des caresses, comme Morny; il achetait, et, par un phénomène qui semble bizarre mais qui est cependant facile à expliquer, il n’estimait pas ceux qui avaient refusé de se vendre. « L’affaire était bonne, disait-il; s’ils ne l’ont pas faite, c’est que ce sont des imbéciles, conséquemment iis ne m’auraient pas été utiles. »
C’est par le mépris de l’homme uniquement qu’il se rapproche de Napoléon I er . Le mépris chez lui était inextinguible,'immense, profond, à croire qu’il avait passé sa vie devant son miroir.
Le rapprochement, bien entendu, n’est que relatif. Si Napoléon avait