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LA FRANCE JUIVE
comme on la nomme, prélève sur chaque joueur un impôt véritablement léonin. Un écrivain, qui s’est particulièrement occupé de cette question, estime que les sommes ainsi perçues par les directeurs de cercles se sont élevées à soixante millions en cinq ans.
Il y a, à Paris , dit-il ‘, à l’heure même où j’écris ces lignes, plus de cent maisons du genre de celle que je cite, où l’on joue le haccara. Sur ces cent tripots, vingt-cinq au moins fonctionnent dans des conditions exceptionnellement productives. Si bien que, calcul fait, on estime que, depuis les cinq dernières années, ces vingt-cinq maisons seulement ont englouti dans la cagnotte la somme, nous n’osons dire respectable, de soixante à soixante-cinq millions! c’est-à-dire que le malheureux joueur, sans compter ses pertes naturelles, sans compter les vols dont il a pu être victime, a dû, avant de courir les chances de bénéficier d’un centime, payer en cinq années un tribut d’au moins soixante millions).
N’est-ce pas réellement effrayant? Et pourtant ce n’est pas tout encore, car le joueur a d’autres charges, auxquelles il ne peut se soustraire et qui naturellement concourent toutes à sa ruine.
Nous voulons parler du cadeau fait au croupier par celui qui tient la banque, et de l’intérêt servi à la caisse des prêts. Nous nous contenterons d’indiquer sommairement en quoi consistent ces deux nouveaux impôts.
Lorsque le banquier lève une banque, après avoir gagné, l’habitude est de laisser une petite somme au garçon qui « croupait » pendant la taille. Ce pourboire n’est pas limité; toujours est-il qu’il est ainsi abandonné, après chaque banque en bénéfice, une somme qui varie entre quinze et deux cents francs, suivant l’importance du gain ou la générosité du banquier.
Quant à l’intérêt de l’argent prêté, il est toujours des plus considérables, puisqu’on a pu constater qu’un garçon de jeu, avec un seul billet de mille francs, était arrivé à doubler son capital dans une seule soirée.
outre : le Cercle central, le Ilunting-Club, le Cercle des Arts-Réunis, le Cercle de l’Escrime, le Cercle de la Presse, le Cercle artistique de la Seine, le Cercle Washington et le Cercle Français.
La cagnotte quotidienne de ces neuf établissements est de 69,800 francs.
Le Cercle de l’Escrime, auquel Camescasse n'a pas touché, est fortement appuyé par des hommes d’État républicains qui trouvent là le déjeuner et le dîner : il a eu pour président un nommé Etienne Junca, Juif, je crois, d’origine, et qui a été décoré comme homme de lettres, ce qui est bien flatteur pour les écrivains et même pour les militaires qui ont gagné leur croix, non dans les claque-dents, mais sur les champs de bataille.
M. Laisant a raconté, dans son journal la République radicale, qu’au mois de décembre 1884, un Juif, nommé Goldsmith, ayant braqué son revolver sur deux autres joueurs, ceux- ci avaient fait immédiatement le même mouvement. Ce sont tout à fait les mœurs des Haciendas du Mexique et des maisons de jeu de San-Franscisco.
Il se produit, d’ailleurs, presque chaque jour, dans ce Cercle protégé par la police, des scènes inénarrables. Ce fut à la suite d’une séance du Conseil d’administration, qui avait été véritablement épique, que le garçon dit à un des assistants qui venait se laver les mains au lavabo ce mot étonnant :
— Que se passe-t-il donc, monsieur? Jamais on n’a volé tant de savon qu’aujourd’hui.
1. Figaro, février 1884.